Paul Panda Farnana, Précurseur dans l’historicité du
panafricanisme.
Un des précurseurs dans
l’historicité du panafricanisme
Pourquoi pendant si longtemps, d’éminents penseurs du
panafricanisme furent oubliés ou parfois, incompris ? Pourquoi ceux
qui nous paraissent comme les dignes fils et filles d’Afrique ne sont pas
célébrés à la hauteur de leurs apports à la grandeur de la terre-mère ?
On ne saurait analyser correctement ces questions si l’on n’a pas pris la
mesure de ce que, pour les ennemis de l’Afrique, tout ce qui peut emmener à la
conscientisation des masses africaines doit être, par tous les moyens, étouffé,
annhihilé, honnis, caricaturé ou pire, éliminé. Les Kwamé Nkrumah, Cheikh
Anta Diop, Thomas Sankara, Patrice Emery Lumumba, etc. et Paul Panda
Farnana, constituent cette liste, longue liste de ceux qui ont forgé et
contribué a forgé l’histoire africaine.
Cette histoire qui a connu dès sa genèse d’éminents
acteurs et qui ont donné le meilleur d’eux même, de leur vie parfois, pour
poser les fondements de la réalisation de la renaissance et de l’Unité
africaine. Cependant au vue de l’historicité du panafricanisme et de ces
acteurs, il n’en demeure pas moins que les gens d’éminent mérite dépendent des
temps. Il ne leur est pas venu à tous celui qu’il méritait et de ceux qui l’ont
eu plusieurs n’ont pas eu le bonheur d’en profiter. D’autres ont été digne d’un
meilleur siècle, témoignage que tout ce qui est bon ne triomphe pas toujours,
comme le dit le vieux dicton, « nul n’est prophète en son pays ». Mais ils
peuvent avoir la consolation d’éternité car si leur génération leur est
ingrate, les générations suivantes leur rendront justice.
C’est pour rendre hommage à ces illustres enfants de
Tâ Wour (1) que nous écrivons ces quelques lignes. Hommage appuyé à Paul Panda
Farnana, précurseur dans bien des domaines, des grands penseurs comme Cheikh
Anta Diop, Kwamé Nkrumah ou encore Patrice Emery Lumumba, sur les questions.
C’est en tout cas, ce que nous essayons de montrer ici. Beaucoup de choses ont
été écrites sur la vie militante de Paul Panda Farnana (2) ; quoi que très peu
ou quasi pas, sur les conditions mystérieuses de sa disparition. Nous nous
bornerons dans ce papier à montrer en quoi Paul Panda Farnana peut être
considéré comme précurseur de nos illustres pères de la renaissance et du
panafricanisme continental.
Paul Panda Farnana ET W.E.B. Du Bois sur
le Panafricanisme
L’Afrique est le continent où certains problèmes
reviennent et régulièrement au devant de la scène mondiale, reçoivent des
solutions, mais demeurent non résolus. Depuis plus d’un siècle, le problème du
Panafricanisme revient souvent, régulièrement et périodiquement et, à chaque
période, la solution panafricaine a été porté par d’éminents penseurs et
acteurs africains du continent et de la diaspora qui ont forgé son histoire. Au
rang de ces éminents penseurs figure en bonne place, William Edward Burghardt Du
Bois (1868-1963) qui est considéré, avec Henry Sylvester-Williams, (1869-1911),
comme les pères du Panafricanisme.
A la suite de ces penseurs africains de la diaspora,
Paul Panda Farnana se représente l’intellectuel qui, très tôt, s’est engagé
dans la cause des Noirs, aux côtés de figures aussi emblématiques que Blaise
Diagne, W.E.B Du Bois, Jean Price Mars et George Padmore (3) autant que Simon
Kimbangu ou Kimpa Vita. Du point de vue plus large de l’histoire africaine,
Paul Panda Farnana est un témoin significatif de l’évolution des sensibilités
au début des années 1920 qui virent se conjuguer les prises de positions
américaines, antillaises, africaines.
Du fait de la participation des africains à la Guerre
occidentale dite « mondiale », Paul Panda Farnana, tient ni plus ni moins, les
Européens pour leurs débiteurs ; une dette de sang à l’égard des africains, qui
se devait d’être soldée par la reconnaissance plénière des droits civiques
longtemps bafoués, aux États-Unis notamment, ainsi que par l’amélioration du
sort des peuples africains colonisés. Paul Panda Farnana plaidera également
pour le retour des Noirs de Cuba ; il parle des « Congolais de Cuba », en terre
africaine, il affirme : « Ces Africains quittèrent le continent des ancêtres
par suite de la contrainte criminelle des négriers européens. Il faut souligner
le courage d’une telle stigmatisation des européens à cette époque.
Pour Paul Panda Farnana il est incontestable que les
monarques occidentaux et leurs sujets respectifs contribuèrent à la traite
négrière. Ils sont donc coupables d’avoir vidé l’Afrique noire de ses forces
vives et d’avoir mis en branle la destruction de ses racines culturelles et, à
travers eux, c’est l’Occident dans son ensemble qui fait l’objet d’une
condamnation morale.
Paul Panda Farnana et Cheikh Anta Diop sur la
Renaissance africaine
Il apparait clairement qu’entre le simplisme
anti-impérialiste et le populisme anticolonial, Paul Panda Farnana avait très
courageusement choisi le registre de la décolonisation des esprits de ses
compatriotes, appréhendée comme un sursaut régénérateur d’un peuple qui se
réconcilie avec la civilisation du savoir. C’est dans ce sursaut régénérateur
qu’apparaît le caractère de précurseur de Paul Panda Farnana sur la question de
la renaissance entendue comme reconstitution de ce que nous appelons le Kimuntu
(4), qui permet à l’homme de renaître à lui-même.
C’est cette décolonisation des esprits que Cheikh Anta
Diop défend dans son combat pour la désaliénation, qui avec la question de la
libération, sont les conditions nécessaires de la renaissance et de l’Unité
africaine. La thèse de la parenté entre l’Égypte antique et l’Afrique Noire,
développée par Joseph Anténor Firmin (5), avait commencé à séduire un certain
nombre d’intellectuels noirs qui, dans la période de l’entre-deux-guerres,
militaient en faveur de l’autonomie politique de l’Afrique et contre le racisme
colonial ainsi que ses avatars.
Nous retrouvons les traces de cette revendication chez
Paul Panda Farnana quand il affirme par exemple « L’art nègre a toujours exercé
et exerce une influence sur l’esthétique moderne, notamment dans la
littérature, dans la peinture et la sculpture. (…) Il est certain que la
civilisation Egyptienne est bien d’origine africaine. (…)». Cette question des
liens entre l’Égypte et la Nubie est le moteur des recherches qui ont
considérablement enrichi la connaissance des civilisations antiques.
Le professeur Cheikh Anta Diop s’est attelé à
démontrer la parenté de la langue des Égyptiens anciens et celles parlées aujourd’hui
en Afrique Noire. La civilisation égyptienne est pour lui la mère, le foyer
historique et culturel de l’Afrique. Il remet en question la coupure entre
l’Égypte pharaonique et le reste de l’Afrique Noire. Il affirme la continuité
historique et culturelle entre les Anciens égyptiens et les Noirs de l’Afrique.
Le professeur Cheikh Anta Diop va véritablement donner de nouvelles impulsions
à ce mouvement de la renaissance nègre en posant l’hypothèse de la parenté
entre l’Égypte ancienne et l’Afrique noire.
Mais, si professeur Cheikh Anta Diop est sans doute
celui a pensé la question de la renaissance africaine dans son rapport
organique avec l’antique Egypte, bien avant lui, Panda Farnana, sans ambiguïté,
revendiquait déjà l’origine négro-africaine de l’Egypte antique dans une sorte
d’intuition puisque non étayé de manière scientifique comme a pu l’attester le
Professeur Cheikh Anta Diop dans ses travaux (6) et avant lui par l’haïtien
Joseph Anténor Firmin, quelques décennies plutôt.
Paul Panda Farnana et Patrice Emery Lumumba sur
le nationalisme
Partout en Afrique, le panafricanisme a été la sève
nourricière du nationalisme africain. Paul Panda Farnana, qui fut le premier
universitaire du Congo, ami et le disciple de W.E.B. Du BOIS et, se situe à la
confluence d’influences afro-américaines, d’une part et des courants
nationalistes africains, Lors du II ème Congrès colonial en 1920, Paul Panda
Farnana, fut l’unique invité congolais où plaida pour l’amélioration des
rapports entre les administrateurs coloniaux et les populations autochtones.
Une des réformes qu’il proposa était d’intégrer les
chefs locaux dans les instances de décision, et, en l’occurrence, au sein du
Conseil colonial, chargé d’arrêter les grands axes de la politique vis-à-vis
des indigènes car, il juge à juste titre, nécessaire de prendre en compte les
chefs traditionnels. Paul Panda Farnana, s’était également engagé dans une voie
du nationalisme basé sur l’égalité sociale et la dignité, sur la parole vraie
et le sens du bien commun. Une de ses batailles était la lutte pour un
développement qui passe par la scolarisation et la formation des cadres
autochtones ainsi que des instances de décision ouvertes aux autochtones ;
Réformes politiques et développement du système éducatif vont de pair.
Cette insistance sur la nécessité d’ériger des écoles
révèle la vision que Paul Panda Farnana, s’est forgée quant aux étapes de
l’émancipation de son peuple. Que des Congolais représentatifs puissent relayer
les revendications de leurs congénères revient, ni plus ni moins, à affirmer
leurs droits politiques. Ainsi, à l’instar d’autres figures intellectuelles de
son temps, Paul Panda Farnana, pose les jalons d’un nationalisme participatif.
Mais, la réticence des colons à améliorer le système éducatif va conduire Paul
Panda Farnana, à radicaliser sa position.
D’un nationalisme réformateur, basé sur la
représentation des autochtones au sein d’instances politiques appropriées, il
passe à une lecture plus négative des méthodes mises en œuvre par les Belges au
Congo. Mystérieusement disparu en 1930, le combat de Paul Panda Farnana, a sans
contexte contribué à éveiller la conscience de ses compatriotes sur les
questions d’injustice liées au fait colonial.
Celui qui prendra son relais est sans contexte,
Patrice Emery Lumumba qui dans son dernier discours officiel prononcé le 30
juin 1960 dit en substance « Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons
commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la
paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice
sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. »
Et il termine par un « Vive l’indépendance et l’Unité africaine ! » comme pour
marquer au fer rouge de cette indépendance acquise âprement, son attachement à
basculer son pays vers son destin continental, à l’instar de son mentor et ami,
Kwamé Nkrumah.
Patrice Emery Lumumba était animé par cette expression
profonde d’une volonté juste et vraie. Et c’est pour cela qu’il a été
sauvagement assassiné tout comme tous les leaders africains ayant exprimé, avec
plus ou moins de véhémence, de telles aspirations. En cela, Paul Panda Farnana,
et Patrice Emery Lumumba vont connaître le même destin tragique de ces gens
d’éminent mérite qui n’ont pas eu le bonheur d’en profiter.
Pour conclure, provisoirement
Paul Panda Farnana, comme nous l’avons vu, a été
un panafricain convaincu et une grande figure du nationalisme africain autant
qu’un éminent penseur de la renaissance africaine et de la cause noire dans le monde.
Les idées qu’il a défendu toute sa vie durant sont le savoir scolaire, le
travail de développement concret, le réalisme, un nationalisme basé sur
l’égalité sociale et la dignité, sur la parole vraie et le sens du bien commun,
la raison plutôt que le désir, la défense des cultures africaines, un
développement qui passe par la scolarisation, la formation de cadres.
Précurseurs dans bien de domaine, cet hommage à une
grande figure n’est qu’un juste retour du mérite que nous avons à lui rendre
pour avoir été, avec W.E.B Du Bois, parmi ceux qui vont structurer le
panafricanisme dans la diaspora et l’emmener dans le continent, pour avoir
suscité la curiosité intellectuelle des penseurs qui ont suivi, sur les liens
organiques et viscérales de l’Afrique avec son antiquité égypto-nubienne et,
pour avoir, par son courage politique à soulever les questions d’injustice
coloniale, susciter la prise de conscience qui a aboutit, 20 ans après sa
disparition mystérieuse, aux indépendances au Congo et en Afrique.
Shmsw-Hr, Unu Maa.
Notes
(1) : TA Wour = Grande Terre. Ta en Egypte ou Ntsiè
dans les plateaux Batékés, désigne la terre en tant que territoire,
c’est-à-dire, le pays. Wour signifie « grand ». Donc, Ta Wour désigne, le
continent (africain).
(2) : Visages de Paul Panda Farnana : Nationaliste,
panafricainiste, intellectuel engagé d’Antoine Tshitungu Kongolo paru chez
l’Harmattan
(3) : George Padmore (1902-1959) publia, en 1955,
Panafricanism or Communism, premier ouvrage traitant de la doctrine
panafricaine sous son angle politique et définissant le panafricanisme comme
« visant à réaliser le gouvernement des Africains par des Africains pour
les Africains, en respectant les minorités raciales et religieuses qui désirent
vivre en Afrique avec la majorité noire. »
(4) : Kimuntu : équivalent du KA Egyptien, en langue
Kongo. Formé du préfixe Ki et du singulier de bantu, c’est-à-dire, les Hommes,
le kimuntu désigne ce qui fait la personnalité d’un homme, son double
immatériel principe de vie (Ankh) et d’énergie (Ka).
(5) : De l’égalité des races humaines. Anthropologie
positive, Paris, F. Pichon, 1885, [lire en ligne] sur Gallica, réédition
Editions L’Harmattan, Paris, mars 2004
(6) : Cheikh Anta Diop Nations nègres et culture : de
l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire
d’aujourd’hui, Présence Africaine, 1954
Références bibliographiques
- Antoine Tshitungu Kongolo : Visages de Paul
Panda Farnana : Nationaliste, panafricainiste, intellectuel engagé,
L’Harmattan, 2011-05-26
- Didier Mumengi : Panda Farnana Premier universitaire
congolais 1888-1930, Cahiers d’études africaines, 2007